Procès de Dominique Pelicot : Un procès contre le patriarcat
La médiatisation du procès des viols de Mazan le démontre bien. Ce procès ne peut être réduit à une simple affaire judiciaire.
Et pour cause, il symbolise une remise en question profonde du patriarcat et de la culture du viol, encore omniprésents dans nos sociétés. De par son exposition publique puisque la victime, Gisèle Pelicot, a refusé le huis clos pour que “la honte change de camp”.
Tout comme la violence et l’ampleur des faits. Qui révèlent non seulement les violences sexuelles infligées à une femme, mais aussi l’échec de la société, des institutions et même de la justice à protéger les victimes.
Mais comment, dans notre société, plus de 72 hommes ont-ils pu agir ainsi en toute impunité ? Mais comment ces hommes, ces “monsieurs tout le monde”, apparemment ordinaires, ont-ils pu abuser et violer une femme endormie dans un état jugé aujourd’hui comme comateux ?
En réalité, cela n’a rien d’extraordinaire, car ce sont justement ces hommes, souvent proches de leurs victimes, des visages familiers du quotidien qui échappent beaucoup trop souvent à la justice.
Le patriarcat et la culture du viol : des bases systématiques
La culture du viol est au cœur de ce qui a permis aux viols de Mazan de se produire.
Pour comprendre comment cette histoire n’est pas un incident isolé mais bien un échec collectif, il est important de comprendre que cette culture ne se limite pas à des actes individuels de violence sexuelle.
Elle repose sur des systèmes de croyances et des normes sociales qui perpétuent et normalisent ces violences.
Il suffit d’effectuer quelques recherches sur les archives de l’INA pour en constater les preuves.
1976 : le viol vu par les Français pic.twitter.com/pbo9IYXmr8
— INA.fr (@Inafr_officiel) September 12, 2024
Au centre de cette idéologie, on trouve l’idée que le corps des femmes est une propriété masculine.
Cette croyance conduit à la perception que des hommes peuvent revendiquer des droits sur les femmes, particulièrement lorsqu’un autre homme, considéré comme le « propriétaire » légitime (souvent le mari), est présent.
Dans l’affaire Dominique Pelicot, cette dynamique est apparue de façon explicite : la présence du mari de la victime était considérée par certains comme une justification suffisante pour minimiser, voire nier, le viol.
Parmi les éléments justificatifs avancés par les accusés je vous en livre quelques uns rappelés en ce moment par le président : « a partir du moment ou le mari était présent il n’y avait pas #viol » #Mazan @RMCInfo
— Marion Dubreuil (@MarionDub) September 3, 2024
Cette idée revient à dire que tant que le mari ne s’y oppose pas, il n’y a pas de violation des droits de la femme.
C’est précisément cette notion archaïque qui montre à quel point le patriarcat réduit les femmes à des objets de possession, où leur consentement personnel n’a aucune importance.
Les mots des accusés et la rationalisation des violences
L’une des déclarations qui a le plus été remarquée pour son caractère choquant et controversé lors de ce procès est venue de la défense. Un des avocats des accusés a déclaré que ses clients étaient ‘tout sauf des violeurs’.
⚖️ "La honte doit changer de camp": conformément au souhait de la victime, le huis clos a été refusé lundi à Avignon au procès du retraité accusé d'avoir drogué son épouse et recruté des dizaines d'inconnus sur internet pour la violer, pendant dix ans #AFPVertical ⤵️ pic.twitter.com/DueL7Pmvml
— Agence France-Presse (@afpfr) September 2, 2024
Cette tentative de minimiser leur responsabilité s’appuie sur un argument récurrent dans les affaires de violences sexuelles : les agresseurs seraient des hommes normaux, insérés dans la société, respectables aux yeux de leurs pairs.
Ce type de défense, qui repose sur l’image sociale des accusés, ne fait qu’exacerber la toxicité de la solidarité masculine.
Cette solidarité se manifeste de manière flagrante dans l’affaire Mazan.
Aucun des agresseurs n’a pris l’initiative de dénoncer les actes aux autorités, malgré leur gravité.
Cela témoigne d’une acceptation implicite de la violence sexuelle comme quelque chose de normal ou d’excusable, tant qu’elle reste dans le cadre de ce que le patriarcat tolère.
Un cadre qui impose la soumission et la disponibilité du corps des femmes.
La figure du “monsieur tout le monde” et l’impunité
Malgré l’imaginaire culturel et social des représentations de violences sexistes et sexuelles, les viols ne sont pas toujours commis par des “monstres”, des individus déviants ou marginalisés.
Ils sont souvent perpétrés par des hommes considérés comme des citoyens ordinaires, bien insérés dans leur communauté.
Comme l’explique Rose Lamy dans son livre En bons pères de famille, l’mage de l’agresseur en tant que “monsieur tout le monde” permet de minimiser ces actes et de renforcer l’impunité dont ils bénéficient notamment au sein du système judiciaire et de la société.
Lire les affaires individuellement comme nous avons appris à le faire n’oblige pas à mettre au jour le continuum de la violence ainsi que la structure sociale qui permet l’impunité des hommes violents.
En bons pères de famille, Rose Lamy.
Et oui, statistiquement, la majorité des viols sont commis par des personnes connues de la victime et non par des inconnus tapis dans l’ombre.
La solidarité masculine toxique et l’impunité
Un autre aspect révélateur de cette affaire est la solidarité masculine qui s’exprime non seulement entre les accusés, mais aussi à travers les réseaux sociaux.
De nombreux hommes, spectateurs de l’affaire, ont exprimé leur scepticisme et mis en doute la crédibilité de la victime.
En remettant systématiquement en question la parole des victimes, ces hommes participent activement à un système qui protège les agresseurs et rejette la faute sur les femmes.
Le doute qui entoure la parole des victimes est un pilier central de la culture du viol. C’est un outil puissant utilisé pour décrédibiliser les femmes et maintenir un statu quo dans lequel les hommes restent protégés par un réseau d’institutions et de normes sociales.
Ça parle de l’affaire Pelicot sur TikTok et y a tout de même des commentaires qui remettent en doute la véracité des faits… Jusqu’au bout vous allez mettre en doute la parole des victimes même dans une affaires où tout a été filmé et dans laquelle le mari a tout avoué ?
— PokeCrocs (@Pokeconne) September 6, 2024
Cette culture de l’impunité se retrouve dans les répercussions limitées que subissent les agresseurs, même lorsque des preuves accablantes sont présentées.
Un procès contre le patriarcat
Le procès des viols de Mazan n’est pas seulement un jugement contre des hommes accusés de crimes odieux. C’est un procès contre le patriarcat lui-même. Il remet en question un système qui, depuis trop longtemps, protège les agresseurs en exploitant des stéréotypes sexistes et en sapant la crédibilité des victimes.
Ce procès doit être vu comme un moment clé pour dénoncer non seulement les individus responsables des violences, mais aussi l’ensemble des structures sociales qui permettent à ces violences de persister.
Les discours sur la respectabilité des accusés, la minimisation des actes violents et la remise en question systématique des victimes doivent être dénoncés comme des manifestations d’un patriarcat qui refuse de reconnaître les torts qu’il cause.
Le combat contre la culture du viol passe par la rééducation collective de notre société et l’abandon des idées archaïques qui placent la responsabilité du viol sur les épaules des victimes.
Ce procès, bien qu’il concerne des individus spécifiques, porte en lui le potentiel de changer la manière dont la société perçoit, traite et punit les violences sexuelles.
Il est temps que de telles affaires soient reconnues pour ce qu’elles sont : des manifestations systémiques d’un problème bien plus vaste, qui ne pourra être résolu que par une remise en question radicale des structures patriarcales qui régissent nos sociétés.